Extrêmes résonances  

Les filles d’Olfa est le cinquième long-métrage de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, diplômée de la Fémis. Cette œuvre poignante a reçu un digne accueil au festival de Cannes avec le prix l’Œil d’Or qui récompense le documentaire, ex aequo de Kadib Abyad (La mère de tous les mensonges) de la réalisatrice marocaine Asmae El Moudir. 

En équilibre entre le fait divers et la tragédie, Les filles d’Olfa conduisent le spectateur au cœur des tensions sociales, religieuses et politiques de la Tunisie des années 2010. Le film présente des images soigneusement composées qui tranchent avec la violence fraîche d’un récit à fleur de peau. La transmission de la douleur vécue passe par les mots et le jeu pour atténuer les brûlures. 

L’œuvre retranscrit un monde troublé à travers une histoire à échelle intime. En 2016, la Tunisie connaît une restructuration du gouvernement avec un changement ministériel dont on peut retenir l’éviction d’Othman Batik, ministre des affaires religieuses, renvoyé pour sa volonté d’empêcher certains imams radicaux de diriger la prière. L’habileté de Kathouer Ben Hania est de ne pas mentionner directement ces évolutions pour cibler leur impact quotidien.

Le dispositif narratif stratifie, dose et sublime la cruauté, néanmoins omniprésente. Il s’agit d’exprimer comment dans les cœurs se glissent la surveillance, la censure et l’intimidation. Peu à peu, les hésitations et tergiversations de la mère accélèrent la radicalité du mouvement des deux aînées. Par ce ressort psychologique, la mise en scène propulse jusqu’à nous la torpeur, les fractures profondes et les vibrations des personnages. 

Les filles d’Olfa deviennent les témoins d’un temps historique sans perdre leur saveur romanesque. La mise en abyme, audacieusement introduite, s’efface doucement au fur et à mesure que sa nécessité se révèle. Le procédé permet d’intégrer le public en avertissant que le besoin de distance est inclus. C’est une manière attentive de rendre la souffrance lisible sans trop de sensationnalisme. 

Film politique à la beauté théâtrale, sobre et imposante, Les filles d’Olfa marque un renouvellement et une ouverture dans le cinéma d’auteur français. Croisant les registres, les voix et les cultures, il est question de prendre acte de l’étranger. Les résonances humaines impulsent un tableau funeste, sensible et salvateur. 

Les filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania / Avec Hend Sabri, Olfa Hamrouni, Eya Chikhaoui / Sortie le 5 juillet 2023.


Laisser un commentaire

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

En ce moment