“Ce qui fait plaisir ne fait jamais de mal”

La Fiancée du pirate, première fiction de Nelly Kaplan, montre l’appétence de la réalisatrice pour les femmes fortes. Marie vit seule avec sa mère dans une cabane éloignée du village, où elle effectue un travail ingrat. Victime de racisme et d’attouchements de la part de sa patronne, elle décide de se rebeller suite à la mort de sa mère : Marie quitte son travail, s’embellit, puis commence à se prostituer auprès des hommes qui la draguaient lourdement sans qu’elle ne cède à leurs avances. Petit à petit, elle prend le contrôle des villageois en les séduisant un à un.

L’actrice principale, Bernadette Lafont, illumine chaque scène par son intelligence redoutable et sa beauté, mêlant la sensualité d’une personnalité dominante et d’une femme libre. Tels des chiens enragés, les villageois s’avèrent incapables de contrôler leur désir, au point de tenter d’imposer un tarif syndical à Marie pour rétablir leur domination passée. Mais les chiens restent des chiens ; il lui suffit de feindre un sourire et laisser entrevoir son corps pour qu’ils acceptent de payer le tarif initial.

Nelly Kaplan réactualise le mythe de la sorcière et lui insuffle une dimension féministe. La protagoniste vit dans une cabane isolée du village, accompagnée d’un bouc (symbole du diable), se libère de toute morale religieuse et entraîne les villageois dans sa propre décadence. Elle enterre sa mère dans son jardin, et non dans le cimetière comme le préconise l’abbé. Marie défie la spiritualité au profit du matérialisme : son corps a une valeur marchande et elle se complait dans un confort matériel toujours plus conséquent, symbolisé par l’évolution du décor de sa cabane. Si le film est à contre-courant de la Nouvelle Vague, il rappelle Godard dans sa façon d’envoyer valdinguer l’idéologie dominante pour se complaire dans un libéralisme libertaire émancipateur.

La conclusion va dans ce sens : Marie brûle sa cabane et abandonne le village derrière elle, affranchie de tout, peut-être en direction d’un autre village à contrôler. Malgré un rythme inégal, La Fiancée du pirate est la première pierre d’un univers jouissif et libre, joyeusement féministe, avec une ribambelle d’héroïnes hautes en couleurs.

La Fiancée du pirate de Nelly Kaplan / Avec Bernadette Lafont, Georges Géret, Michel Constantin / Sortie en 1969.

La réalisatrice Nelly Kaplan nous a quittés le 12 novembre 2020 à l’âge de 89 ans. En son hommage, Contrastes lui consacre trois articles sur ses cinq films de fiction.


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