La 22ème édition du Festival International du Film de Groix s’est déroulée en août dernier sur cette petite île bretonne à une heure de Lorient. Après une précédente édition consacrée à la Corse, place aux îles écossaises ! Les festivités étaient partagées entre le Cinéma des familles, entièrement rénové en 2021 et géré par l’association Cinéf’îles, ainsi que Port Lay, où se déroulait la soirée d’ouverture. Au programme de celle-ci : performance circassienne, concert de cornemuse et rencontre avec le charismatique Crieur, qui allait contaminer le festival de sa bonne humeur en clamant les messages écrits par les festivaliers sur des petits bouts de papier avant les séances.

Quelles sont les thématiques insulaires ?

Mais au-delà du plaisir de voyager à chaque film, pourquoi consacrer un festival de cinéma aux thématiques insulaires ? Existe-t-il un vécu commun suffisamment fort pour justifier un tel événement ? Pour répondre à cette question, jetons un œil à la compétition des courts-métrages de fiction. La séance s’est ouverte sur Find where I belong de Kahu Kaiha, tourné en Nouvelle-Zélande, et Entre dos islas de Hideki Nakazaki, tourné à Cuba. Le premier film suit un SDF qui fantasme sur un voyage dans les îles Marquises, sa terre d’origine, avant d’être rattrapé par sa dure réalité économique. Le second explore le questionnement identitaire d’une jeune cubaine d’origine japonaise à qui l’on demande de partir. L’un des deux films d’animation de cette sélection, Taaskohtumine d’Ülo Pikkov, reconstitue une excursion touristique sur la petite île de Ruhnu en Estonie, désertée après la Seconde Guerre mondiale. Les décors ont été créés à partir de matériaux rouillés retrouvés sur place tandis que les personnages sont faits de plumes, créant un contraste génial entre les textures. Mais le grand gagnant de cette séance n’était autre que le très beau film grec Nothing Holier than a dolphin d’Isabella Margara, où les habitués d’un bar mettent en scène une légende locale selon laquelle un dauphin aurait sauvé un homme de la noyade. Peu à peu, ce jeu prend la forme d’une expérience métaphysique : les corps transcendés par le récit brouillent les pistes entre le réel et la légende.

Avec ce corpus de films tournés sur trois continents, on comprend vite qu’il émerge une expérience collective de ces îles. Paysages sublimes sources de fantasmes, ce sont également des terres de cultures, de récits, d’accents et de patois singuliers qui sont menacés de disparition, tandis que les gouvernements encouragent un universalisme offensif voire répressif. L’enjeu est donc éminemment politique, ce qui explique la présence d’associations luttant pour le respect des Droits Humains au festival tels que SOS Méditerranée ou Amnesty International. La difficulté de l’accès aux ressources, le contraste entre le territoire magnifique et la solitude des habitants, sont autant de thématiques qui traversaient les nombreux films présentés, à commencer par ceux sur les îles écossaises.

Taaskohtumine d’Ülo Pikkov / © Nukufilm

Les îles écossaises

On connaît tous les panoramas splendides de l’Écosse, lieu de prédilection pour nombre de réalisateurs étrangers en quête d’une scène à couper le souffle. Pourtant, peu de ce cinéma traite des thématiques propres à ce territoire aussi célèbre que méconnu. C’est pourquoi cette année, le FIFIG a donné une carte blanche au Scottish Documentary Institute, dont la mission est à la fois de soutenir les jeunes cinéastes indépendants et de favoriser la création de documentaires écossais.

Parmi les 5 courts proposés par le SDI, Cailleach de Rosie Reed Hillman et Against the tide de Giulia Candussi dressent chacun un portrait féminin. Morag et Gill parlent de leur histoire paysanne et témoignent du temps qui passe avec sagesse et humour, symboles d’une communauté insulaire vivant en étroite connexion avec la nature. Dans The Bayview, Daniel Cook a observé ceux qui, plutôt que de rester sur terre, ont choisi de parcourir les mers, et ce parfois jusqu’au bout du monde. Contrairement à Polaris, où le réalisateur isole ses personnages, des pêcheurs philippins, à l’aide d’une photographie et d’une bande son moroses, aliénisantes, presque dystopiques, The Bayview aborde le même sujet avec un regard plus humain. Les échanges pris sur le vif entre pêcheurs locaux et étrangers révèlent une authentique solidarité et une entente possible par delà les cultures, qui rappelle la volonté du FIFIG de rassembler des films de toutes origines en dépit des mers à traverser.

Mais la grande personnalité mise en valeur par ce focus sur l’Ecosse n’était autre que Margaret Tait, première cinéaste écossaise à réaliser un long-métrage de fiction. Sorti en 1992, Blue Black Permanent suit la trajectoire de trois femmes unies par le sang. Dans un female gaze discret rappelant celui de Nelly Kaplan, le film explore la notion de traumatismes intergénérationnels à travers une mise en scène onirique flirtant avec un certain esprit gothique. Grâce à une superbe restauration orchestrée par le BFI, on peut espérer une ressortie afin de découvrir ce film par le prisme des questionnements contemporains.

Outre les quelques courts-métrages expérimentaux de la cinéaste, on pouvait également découvrir Margaret Tait par le biais du documentaire Being in a Place de Luke Fowler, projeté à Cinéma du réel en début d’année. Bien loin d’effectuer un reportage académique, le réalisateur part en quête du fantôme de Margaret Tait en filmant l’environnement dans lequel elle a évolué, et lie cette matière récente avec des rushes inexploités ou des archives de la cinéaste. Les plans les plus fascinants sont sans doute ceux où Luke Fowler laisse apparaître son ombre, comme si son fantôme était lui-même à la recherche du passé de Margaret Tait. Les interviews asynchrones d’anciennes connaissances de la cinéaste n’ont pas pour but d’offrir un quelconque éclairage sur sa personnalité, mais d’effleurer un peu plus une surface impossible à démystifier.

Blue Black Permanent de Margaret Tait / © BFI

Nos plus belles découvertes

Le festival s’est étalé sur quatre jours, mais la programmation était tellement remplie qu’il était difficile de ne pas faire l’impasse sur des gros morceaux. Plusieurs séances affichaient complet, notamment lors des projections de films cultes tels que The Wicker Man de Robin Hardy ou La part des anges de Ken Loach. Mais comme souvent, les meilleures découvertes se trouvent parfois cachées derrière les têtes d’affiche. Pour conclure cet article, partageons nos trois coups de cœur de ce festival.

Documentaire de fin d’études ahurissant de maîtrise, Until we return de Martin Tesler fait le portrait de six habitants d’une île écossaise quasiment désertée. Le choix des personnages permet de brasser une diversité de situations et de choix de vie ; certains affrontent la solitude à deux, d’autres avec leur chien. Une jeune femme étant en relation à distance, les deux ferry par semaine rythment les visites de son partenaire. Chaque habitant est habité par le même questionnement : partir ou rester ? Devant ce film, on ressent tout le côté paradoxal d’habiter sur une île : le mélange d’indépendance et de dépendance aux nouvelles technologies, la beauté des paysages qui contraste avec la difficulté des conditions de vie, l’appel du retour à la quiétude malgré l’isolement. 

Nature, sérénité, solitude… Autant de thèmes qui traversent également le court-métrage islandais Nest de Hlynur Pálmason, passé à la Berlinale en février 2022. Pendant un an, trois frères et sœurs se construisent une cabane au sommet d’un poteau électrique détruit par la météo capricieuse du Nord. Comme la maison perchée, la caméra reste plantée là, entièrement fixe. Grâce aux couleurs flamboyantes de la pellicule, on devient les témoins de la rudesse mais aussi de la splendeur des saisons. Le cadre qu’on nous impose suffit, on ne s’ennuie pas car les aventures comiques des enfants rompent la monotonie du paysage. La simplicité des choix formels rappelle le minimalisme du style scandinave et démontre que finalement, une valeur de plan suffit pour tenir en haleine le spectateur.

Enfin, terminons par le grand gagnant du festival, qui a cumulé le prix du public et le grand prix du jury à l’unanimité. Tourné à Mayotte, Malavoune Tango de Jean-Marc Lacaze dresse un parallèle entre les comoriens de l’île, sans cesse menacés d’expulsion, et les chiens qu’ils élèvent clandestinement, enlevés et tués par la fourrière. Si le parallèle a de quoi choquer, il permet de mettre en avant une réalité contraire aux droits humains, également dénoncée par l’autre documentaire de la compétition tourné à Mayotte, Wanatsa. Afin de s’opposer à cette brutalité envers le vivant, Jean-Marc Lacaze montre un véritable amour pour ces êtres abîmés par la vie, grâce à une mise en image en parfaite osmose avec le message : une contemplation sans outrance, des entretiens sans misérabilisme, juste une observation de la vie quotidienne dans ses brefs moments de joie, en espérant que l’avenir soit meilleur. Cette dernière découverte quelques mois après l’opération Wuambushu nous rappelle qu’en plus d’être un événement convivial, le FIFIG est un espace politique de contre-discours. Si sa survie est aujourd’hui menacée, on espère de tout cœur qu’il surmontera ses difficultés et perdurera pour de nombreuses années.

Article co-rédigé avec Chems Dia.


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