Après une première édition l’année dernière, le Brussels Porn Film Festival a fait son grand retour début mai. Il fallait se rendre à la séance d’ouverture au Nova pour saisir l’ampleur de l’événement : seul un tiers de la file d’attente a pu rentrer, le bar au sous-sol était plein à craquer. Il régnait une atmosphère euphorique typique d’un jeune festival. Le programme était joyeux et varié : deux compétitions de courts, quatre longs-métrages ainsi qu’une multitude de sélections thématiques en tout genre, de l’amour à distance au sadomasochisme en passant par la science-fiction.

Pornographie éthique

L’un des objectifs affichés par le festival était de déstigmatiser la pornographie en la ramenant dans les salles. Ainsi, le studio Four Chambers a présenté sept de ses productions lors d’une carte blanche dédiée. À travers une esthétique arty, ces films fuient le réalisme de la pornographie mainstream afin de créer une atmosphère onirique et sensorielle. La bande-son est enveloppante, le montage fait des allers-retours entre les séquences, la photographie joue du clair-obscur. Pour autant, les films ne sont pas chastes et ont très clairement une visée masturbatoire. Le modèle alternatif prôné par Four Chambers est plus qu’intéressant : les soixante-dix vidéos du site sont accessibles moyennant un abonnement mensuel, ce qui peut paraître risible face aux millions de contenus accessibles gratuitement. Le pari est de privilégier la qualité à la quantité, de découvrir et redécouvrir des vidéos sans qu’elles ne soient associés à des tags réducteurs, dans une pornographie respectueuse des travailleurs et soucieuse de la question des représentations. Ce type d’initiatives est plus que bienvenue pour retrouver un rapport plus sain aux images.

Comme pour illustrer cette opposition entre le porno éthique et mainstream, deux longs-métrages documentaires présentés au festival se faisaient écho : Verified Couple de Joscha Bongard et Ardente.x.s de Patrick Muroni. Le premier suit un couple établi à Malte tournant des vidéos « amateur » tandis que le second se concentre sur un collectif lausannois créant du porno queer et alternatif. Si Verified Couple commence comme un film léger, on constate peu à peu l’emprise du jeune homme sur sa copine. À l’inverse, le collectif mis en scène dans Ardente.x.s se place dans une démarche consciente et respectueuse, truffée de remises en question et de doutes. Les films montrent deux modèles qui s’opposent : une exploitation de la femme par l’homme permise par l’ubérisation de la pornographie et, en réaction, une organisation collective et politisée produisant une pornographie éthique. 

Cependant, il y avait de quoi s’interroger face au discours tenu par les organisateurs pendant la séance d’ouverture, qui assimilaient la pornographie à un genre cinématographique comme un autre. La question est la suivante : peut-on dire que des films ayant une visée purement masturbatoire sont des œuvres d’art à part entière ? Lorsque le Japon a connu une nouvelle vague érotique, plusieurs cinéastes ont profité de la liberté offerte par les conditions de production tout en détournant les contraintes imposées par le genre pour transmettre des émotions étranges et contradictoires. Ici, plusieurs films présentés avaient pour seul but d’exciter le spectateur et ne maîtrisaient pas assez leur technique pour véritablement parler de mise en scène. On pourrait par exemple citer un court-métrage en compétition internationale tourné à la mise au point automatique sans raison apparente, qui ne semblait avoir aucune notion élémentaire de mise en scène et de dramaturgie. Il n’est pas évidemment pas question de placer la maîtrise comme dogme absolu de l’art, mais il semble que la pornographie ait encore beaucoup de chemin à faire pour véritablement appartenir au cinéma.

Red Shift de Four Chambers – © Four Chambers

Regards queers et expérimentaux

Mais contrairement à ce que son nom pourrait faire croire, le Brussels Porn Film Festival était également ouvert au cinéma traditionnel. Si l’on connaît la nouvelle vague de formalistes francophones, parmi lesquels Bertrand Mandico, Yann Gonzalez et Alexis Langlois, l’événement a permis de mettre en lumière plusieurs cinéastes dans la même veine qui n’en sont pas encore au stade du premier long. Dans cette catégorie de films oniriques aux univers fantasmagoriques et hypersexualisés, on pouvait par exemple citer le génial The Lesbian Alien Darkroom Fisting Operetta On Venus signé par « the homosex film syndicate of precarious avantgarde artists », qui se déroulait dans un décor de science-fiction en carton-pâte. Le plus professionnel de ces films était sans doute Casa de Bonecas de George Pedrosa, passé au Festival de Rotterdam cette année, qui oscille entre prise de vue documentaire et fantastique à l’esthétique sadomasochiste. 

La séance expérimentale était également riche en découvertes. L’une des plus marquantes n’était autre que le nouveau court-métrage d’Emmanuel Gras, Amo. Le cinéaste y filme les corps comme des planètes, en grand angle sur fond noir. Le spectateur est plongé dans une contemplation perplexe, essayant tant bien que mal de distinguer quelle partie du corps il observe. On retiendra de ce film hypnotisant le plan particulièrement impressionnant d’un homme nu filmé en contre-plongée, faisant de lui un géant.

Le reste de la sélection était également de très bonne facture. Dans Les Dieux du Supermarché, Alberto Gonzalez-Morales raconte son rapport au corps masculin par le biais d’un montage d’archives survolté et réjouissant. C’était la même fraîcheur qui auréolait Mary’s Vagina de Labros Kordolemis, court-métrage en stop-motion aussi vulgaire que drôle sur une jeune femme atteinte d’une mystérieuse IST. Plus cryptique et inquiétant, Flyby Kathy de Pedro Bastos explore la disparition de l’actrice pornographique Kathy Harcourt par le biais d’une mise en scène abstraite et voyeuriste. Pour finir, mentionnons le clip du morceau Tero Risti – One night stand réalisé par Stefan Nacke, déambulation cauchemardesque et hypnotique dans un moteur de jeu vidéo. D’une maîtrise impressionnante, le film rappelle le génial Scum Mutation de la réalisatrice Ov, produit par le Fresnoy.

Amo d’Emmanuel Gras – © manifest

Palmarès

Pour finir, revenons sur le palmarès de cette deuxième édition. Le prix de la compétition nationale est logiquement allé à Old Suff Never Dies de Nicky Lapierre et Noux Beetch, documentaire très drôle qui relate la vie sexuelle bien remplie d’un couple d’octogénaires aux fantasmes nombreux. Le prix de la compétition internationale est quant à lui allé à Hungarian Tango de Pina Brutal, comédie vaguement porno peu convaincante et pas assez maîtrisée pour être mémorable. Le jury a également attribué une jolie mention spéciale à Extys d’Aron Smith, mélange réussi entre une vidéo de Four Chambers et un film de David Cronenberg.

Si l’on peut y voir des choses plus ou moins réussies, le Brussels Porn Film Festival s’impose comme un espace passionnant ouvert à la multiplicité des pratiques cinématographiques et sexuelles. Le court-métrage Another beautiful creature de Mahx Capacit cristallise à lui seul ces enjeux. Le film suit la vie sexuelle d’un homme transgenre enceint et de son compagnon cisgenre. Les personnages disent avoir accepté de participer à ce projet car ils auraient eux-mêmes aimé voir un tel film avant de s’aventurer dans la parentalité. Bien qu’il soit d’une tendresse absolument magnifique, Another beautiful creature est bien trop explicite dans son contenu et n’est pas assez professionnel pour trouver une place dans un gros festival. C’est à travers ce type de découvertes que l’on constate l’intérêt d’un espace ouvert et pro-sexe tel que le Brussels Porn Film Festival.

Another beautiful creature de Mahx Capacit – © Aorta Films

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